Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/03/2010

George Steiner - 1a

Bloc-Notes, 29 mars / Les Saules

images.jpeg

Il me tient à coeur de vous présenter aujourd'hui un des plus grands esprits de notre temps, George Steiner. Son histoire, en elle-même, n'est déjà pas banale: Né dans une famille juive autrichienne en 1929, exilé en France pour échapper à l'antisémitisme qui régne à Vienne à cette époque, il quitte l'Europe avec sa famille en 1940, étudie au lycée français de New York, à l'université de Chicago et parachève ses études avec un doctorat à l'université d'Oxford. Enseignant au Williams College (dans le Massachusetts), à Innsbruck, Cambridge et Princeton, il devient professeur de littérature comparée à l'université de Genève, avec - entre autres - des cours mémorables consacrés à mon ami William Shakespeare! Son parcours - tout sauf classique - explique peut-être sa fascination pour la langue, la traduction, la culture - outre le grec et le latin, son éducation est marquée par l'allemand, le français et l'anglais - avec un ancrage dans la tradition juive, même s'il se déclare athée: le signe d'une conscience complexe, d'une réflexion sans concession, d'une approche de la pensée en perpétuel devenir, comme ces vieux arbres qui se déploient avec élégance, mais gagnent aussi en lumière, en simplicité pour l'oeil qui les guette, au fil du temps.

Parmi les textes d'une oeuvre considérable, certains méritent qu'on s'y arrête un instant: La nostalgie de l'absolu (où il interroge le sens des spiritualités pour l'homme moderne), Maîtres et disciples (consacré à l'éducation et à la transmission du savoir), Réelles présences (le miroir tendu entre le déclin possible du sens et l'appréciation de l'art), Le silence des livres (leur rapport à l'intolérance, à la fin, à la destruction). Je pourrais encore citer Après Babel et Les passions impunies - deux oeuvres majeures - mais d'une accessibilité plus délicate pour le commun des mortels dont je suis!

Tous les thèmes mentionnés jusqu'ici - auxquels j'ajoute la question du mal et de la Shoah, omniprésente dans toute sa démarche de penseur - sont évoqués dans les entretiens de George Steiner avec Antoine Spire, Barbarie de l'ignorance (plus de deux heures sur CD) diffusés sur France Culture en 1998. Il s'agit là, à mon sens, de la meilleure introduction à l'hommes et l'oeuvre, indissociables. J'y ajoute deux livres essentiels, Errata (une évocation des frémissements du monde, de l'histoire, de la pensée) et Les livres que je n'ai pas écrits (la proximité délicate entre la perception, la compréhension et la création), sans doute le texte le plus humain, le plus intime et lucide qu'il a écrit à ce jour.

Pour terminer, sachez que le propre des grands hommes - c'est leur immense qualité - est de nous surprendre, toujours. Ainsi, vient de paraître en librairie un choix de chroniques du New Yorker, publiées entre 1967 et 1997. Vous y croisez  Alexandre Soljenitsyne, Simone Weil, Bertolt Brecht, Paul Celan, Georges Orwell, mais plus insolite, l'histoire de Bébert (le chat de Louis-Ferdinand Céline) ou d'Anthony Blunt (historien d'art anglais et espion). De quoi s'instruire en s'amusant...

Bref: que du bonheur!

George Steiner, Lectures - chroniques du New Yorker (Coll. Arcades/Gallimard, 2010)

Georges Steiner, Barbarie de l'ignorance, 2 CD (France Culture, Radio France et Harmonia Mundi, 1998)

19/12/2009

Christian Bobin & Pascal Quignard

Bloc-Notes, 18 décembre / Les Saules

La nuit venue, je reprends avec joie les notes de mes récentes lectures, déjà évoquées dans ces colonnes, en octobre dernier, soit La barque silencieuse de Pascal Quignard auquel répond Les ruines du ciel de Christian Bobin. Chacun à sa manière célèbre le temps, l’urgence de l’écrit, la relation à l’histoire de la pensée, le langage, la nature, la vie ou la mort qui n’est après tout pas nécessairement catastrophique … Ce modeste florilège vaut mieux être découvert dans le contexte original de ses auteurs, bien entendu, mais je vous le partage néanmoins avec beaucoup de plaisir!

Pascal Quignard

Montrer son dos à la société, s’interrompre de croire, se détourner de tout ce qui est regard, préférer lire à surveiller, protéger ceux qui ont disparu des survivants qui les dénigrent, secourir ce qui n’est pas visible, voilà les vertus. (p. 58)

*

Nul ne peut se plaindre de la vie : Elle ne retient personne.  (p.81)

*

A quoi sert d’écrire ? A ne pas vivre mort. (p. 98)

*

Il faut prendre exemple sur les chats qui avancent prudemment leurs coussinets sur les gouttières des toits. Il faut regarder comment ils s’arquent pour bondir avant d’atteindre le toit suivant. Moitié hardi, moitié craintif. Cette prudence est toute la politique du monde. (p. 106)

*

Est libre celui qu’on ne peut contraindre. (…) Est libre l’homme qui n’est pas esclave (…). Est libre celui qui ne demande d’autorisation à personne. Est libre celui qui ne réfère à aucune instance. Tout homme est une citadelle de tyrans qu’il faut faire sauter. (p. 107)

*

La mort qui vient n’a nullement à être fuie comme le prétend l’absurde morale tonique, positive, religieuse des modernes. La mort a sa saison, qui n’est pas plus rebutante que les autres. Quand la saison de la mort est là – ce que tout le monde appelle hiver – il arrive que le ciel de nouveau recoure au bleu intense. La terre craque sous les pas. La mare n’est jamais  aussi propre que quand elle est gelée. Les feuilles ont disparu. Les fleurs, les oiseaux, les hommes, les noms, tout a disparu. Il fait si clair. (p. 124)

*

La chenille ignore le papillon dont elle construit la coque de métamorphose. L’araignée file son filet de prédation sans connaître la proie. De la même manière la musique son chant. La langue son livre.  (p. 135)

*

Durer est celui qui sait retirer sa main avant le trait de trop. (p.160)

*

Le vent du large souffla brusquement sur nous à l’instant où nous fûmes parvenus en haut de la falaise. L’air sur la falaise était une énorme vague transparente qui se perdait dans le ciel, rebroussant soudain son souffle. Le bleu du ciel gagnait l’habit des hommes, de nous tous qui nous tenions penchés en avant, regardant la grève en contrebas, la mer en contrebas, la barque qui venait silencieusement vers l’île, penchés au-dessus de la paroi de tuf qui s’était effritée sur la grève noire. C’était d’une extraordinaire beauté. (p.238)

 Christian Bobin

 Les livres sont la résidence secondaire de l’âme. Quand elle pousse les volets de papier contre le mur, une lumière entre partout dans la pièce. (p. 15)

*

L’écriture est une mendiante qui donne une pièce en or à chaque passant. (p.35)

*

Sur son échafaudage de notes, Jean-Sébastien Bach lave en sifflant les vitres de l’éternel. (p. 38)

*

Toutes nos pensées reviennent à chercher la clé d’un paradis dont la porte est ouverte. (p. 53)

*

Les moineaux par leurs chants construisent des monastères qui durent une seconde.  L’âme surprise dans leurs cloîtres ne craint plus de mourir. (p. 58)

*

La vie a besoin des livres comme les nuages ont besoin des flaques d’eau pour s’y mirer et s’y connaître. (p. 68)

*

La jeunesse est le rire du malheur. (p. 70)

*

La pluie qui fait chanter les pierres est la madone des refusés. (p.92)

*

Je demande à un livre qu’il me donne du courage et ne me trompe sur rien. (p. 99)

*

Les yeux des pauvres sont des villes bombardées. (p. 115)

*

Je suis vivant, assis devant une table en bois, je regarde la lumière pleuvoir sur le jardin. Qu’irais-je demander d’autre ? (p. 147)

*

La première neige est le sourire des morts. (p. 148)

*

Nous vivons au pied d’une montagne enneigée qui dès l’instant de notre naissance a commencé à s’écrouler sur nous. (p. 181)

 Pascal Quignard, La barque silencieuse (Seuil, 2009)

Christian Bobin, Les ruines du ciel (Gallimard, 2009)

 

 

03:00 Écrit par Claude Amstutz dans Bloc-Notes, Littérature francophone, Pascal Quignard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essais; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |

02/11/2006

Louis-Ferdinand Céline

9782851976567.gifLouis-Ferdinand Céline, A l'agité du bocal et autres textes (L'Herne, 2006)

Parmi les textes rares de cet opuscule, il est une lecture jouissive et salutaire, À l’agité du bocal, pamphlet rageur contre Sartre qui avait dit en 1945 dans la revue Les Temps Modernes que si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des nazis, c’est qu’il était payé… Plus graves, Les carnets du cuirassé Destouches et une préface inédite à Semmelweis. Enfin, un entretien réalisé avec Jacques Darribehaude en 1960. Il y parle de sa famille, de la médecine, de la littérature [peu, sinon pour dire du bien de Morand, Ramuz et Barbusse], de l’avenir. Chaque phrase ou presque est un morceau d’anthologie. Un exemple : Je tiens de ma mère une modestie, une insignifiance absolue, alors, absolue ! Ce qui m’intéresse, c’est d’être ignoré complètement. J’ai un goût… un goût animal, pour le retrait… Oui, Boulogne me plairait assez, moi, Boulogne-sur-Mer. Des pays où personne ne va jamais.  Sacré Céline, comme tu nous manques!

22:15 Écrit par Claude Amstutz dans Littérature francophone, Louis-Ferdinand Céline | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature; essais; livres | |  Imprimer |  Facebook | | |